En regardant voter nos voisins français ce dimanche, nous aurons un peu l’estomac en portefeuille et l’âme chiffonnée. La France ressemblera-t-elle encore à celle que nous aimons: ouverte, égalitaire, humaniste, créative, généreuse et toujours un peu râleuse’ A la France de Michel Serres et René Char, au pays de la raison et de l’art de vivre’ A en juger par les flots de reportages, interviews, analyses qui submergent depuis des semaines les médias suisses, c’est une inquiétude partagée par de très nombreux Suisses, de Zurich à Genève. Valeurs égalitaires, conception de l’homme universel, vision volontariste de l’Etat et du «vivre ensemble», il y a dans chacun de nous une part de France.
Les Français jouent un peu notre avenir
Comme disent les Italiens, que Dieu nous garde des mauvais voisins et du violoniste débutant. Le malheur, c’est que nous risquons bien d’avoir les deux en même temps. Inexpérience gouvernementale pour les uns, populisme, aventurisme ou impudence pour les autres, les candidats qui se disputent la présidence de la République laissent les électeurs français flottants. Cette incertitude hexagonale devrait nous inquiéter. En jouant leur avenir pour cinq ans, les Français jouent un peu le nôtre, comme celui des autres Européens.
La France est notre quatrième partenaire commercial. Les exportateurs suisses ont donc tout à craindre d’une crise sociale permanente en raison de réformes engagées à la hussarde ou d’un déficit budgétaire abyssal. Le populisme, le souverainisme, le protectionnisme et l’aversion envers l’UE, qui caractérisent notamment Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, pourraient compliquer non seulement nos relations économiques et diplomatiques avec Paris, mais avoir aussi une influence directe dans la politique intérieure. Avec l’affaire des données volées par Hervé Falciani, les questions de souveraineté fiscale, les tensions autour des assurances sociales, l’EuroAiport de Bâle, les Suisses ont déjà pu expérimenter les difficultés de négocier avec un gouvernement français, pourtant ami, mis sous pression par le besoin d’argent. Sans parler des difficultés quotidiennes à réaliser le Grand Genève.
Problème de voisinage
Or, les solutions trouvées ne semblent tenir qu’à une volonté commune, comme en témoignent la motion du conseiller national Philippe Nantermod sur la coordination des régimes d’assurances sociales et le besoin exprimé par le conseiller fédéral Alain Berset de «poursuivre le dialogue sur les relations en matière de santé et de sécurité sociale». Il est peu vraisemblable que le climat s’améliore avec un souverainiste dont on connaît l’aversion envers la Suisse ou une populiste que même Christoph Blocher refuse de fréquenter. Enfin, il y a les 160 000 travailleurs frontaliers, dont la présence et le statut suscitent toujours plus de frictions et pour lesquels nous avons besoin d’une relation apaisée avec Paris.
Le sentiment anti-européen et souverainiste incarné par Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, représente près de 40% des suffrages. La volonté des deux candidats de renégocier les traités européens, voire de quitter l’UE, ne peut que renforcer le courant anti-immigration et eurosceptique en Suisse. Quels arguments opposer à l’initiative de l’UDC pour la primauté du droit suisse sur le droit international ou à son projet d’interdire tout traité sur la libre circulation alors que la France elle-même est tentée d’en faire autant’ C’est le problème des voisins: quand l’un parle trop fort, l’autre se mêle de la conversation.
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